[DIGITAL Business Africa] – Me René Bourgoin, le président de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle de Côte d’Ivoire et Vice-président du Réseau des Instances Africaines de Régulation de la Communication (RIARC) était présent à Yaoundé au Cameroun du 08 au 09 novembre 2023. Il participait Forum International sur la régulation des réseaux sociaux qui s’est tenu à l’hôtel Hilton de Yaoundé, sous le thème « La problématique de la régulation des réseaux sociaux : les modalités d’une collaboration entre les régulateurs africains des médias et les plateformes numériques ».
Ce forum s’est inscrit dans le cadre du plan d’action du Réseau des Instances Africaines de Régulation de la Communication (RIARC) et a connu la participation des représentants de nombreuses instances africaines de régulation des médias et des plateformes numériques.
Digital Business Africa a donc profité de cette occasion pour rencontrer Me René Bourgoin afin de comprendre les défis et stratégies de la régulation des réseaux sociaux en Côte d’Ivoire. Entretien.
DIGITAL Business Africa : Vous représentez votre pays au Forum International CNC-RIARC au Cameroun sur la régulation des réseaux sociaux. Quelle est la mission de la HACA en Côte d’Ivoire ?
Me René Bourgoin : Il est bon de préciser que l’objectif de la HACA en Côte d’Ivoire n’est pas à proprement parler de réguler les réseaux sociaux. En réalité, aucune institution de régulation ne peut prétendre réguler les réseaux sociaux. Il s’agit pour nous régulateurs de réguler les contenus publiés via ces réseaux sociaux. Pour y parvenir, nous avons jugé nécessaire de faire adapter le cadre juridique de la communication audiovisuelle à l’environnement numérique en faisant prendre en compte la régulation des contenus audiovisuels diffusés via internet et autres médias multimédia.
C’est ainsi qu’a intervenu la loi du 20 décembre 2022 qui modifiait celle de 2017 sur la communication audiovisuelle en Côte d’Ivoire. Cette loi stipule que la diffusion des contenus audiovisuels de toutes plateformes de blogueurs, activistes ou influenceurs, disposant de 25 000 abonnés en ligne n’a pas de caractère de correspondance privé. Elle est en conséquence soumise au respect des principes généraux de la communication audiovisuelle de la loi régissant les principes juridiques de la communication audiovisuelle.
DIGITAL Business Africa : Comment peut-on résumer les propositions entendues entre les des régulateurs et celles des réseaux sociaux au cours du Forum International CNC-RIARC 2023 ?
Me René Bourgoin : C’est vrai que les plateformes numériques ont des standards communautaires. C’est une charte communautaire qui prévoit des engagements pris par ces plateformes numériques à l’égard de tous leurs utilisateurs. Et ce sont des engagements que les utilisateurs prennent vis-à-vis de la communauté membre de ces plateformes là. Ces standards communautaires sont très contraignants et sont souvent en déphasage avec ce que le régulateur exige.
Par rapport au contenu, le régulateur peut décider qu’un contenu est inapproprié et malveillant. Mais, les standards communautaires de cette plateforme peuvent avoir d’autres interprétations de ces éléments là. En pareille circonstance, ce qu’il faut faire c’est de savoir si c’est la position du régulateur qui prime ou si ce sont des standards des plateformes qui priment. Nous avons décidé d’entrer en discussion avec ces plateformes et de nous mettre d’accord sur un minimum.
Le minimum consiste à considérer ce que le régulateur d’un pays dit est ce qui doit prévaloir. Étant entendu que le régulateur est indépendant et qu’une instance de régulation est composée de membres dotés de sagesse et qui apprécient mieux les valeurs sociales culturels du pays que nul ne le ferait, les algorithmes qui sont le lot de ces plateformes numériques peuvent ne pas considérer des choses scandaleuses comme au niveau d’un État. Et c’est pour cela qu’il faut aller dans le sens d’une coopération. Mais, une coopération qui exigera la prise en compte de nos valeurs sociales et culturelles africaines.
DIGITAL Business Africa : Quelles sont les difficultés à réguler les réseaux sociaux en Afrique ?
Me René Bourgoin : Les difficultés à réguler les réseaux sociaux sont nombreuses. D’abord, les réseaux sociaux sont les faits des plateformes numériques et ces plateformes numériques sont des plateformes internationales. Ce sont des grandes plateformes. Si nous régulateur nous disons que tel contenu doit être supprimé et que la plateforme ne prend pas en compte cette décision, nous n’avons aucun moyen de contraindre la plateforme d’exécuter cette décision.
C’est vrai que le moyen qui existerait serait de couper l’accès à internet à cette plateforme là. Mais, cela supposera que nous allons interrompre la diffusion et l’exploitation de cette plateforme dans notre pays. Ce qui va générer d’autres conséquences notamment politiques. Voilà pourquoi c’est difficile. On ne peut réguler les réseaux sociaux qu’en coopération et qu’en collaboration avec les grandes plateformes numériques.
DIGITAL Business Africa : En côte d’ivoire, est-ce que les acteurs disposant de plus de 25 000 abonnés peuvent être considérés comme médias numériques ?
Me René Bourgoin : Non. Je précise bien que les internautes disposant de plus de 25 000 followers ne sont pas considérés comme des médias. C’est ce qu’ils publient ou proposent qui sont soumis aux dispositions et aux principes généraux de la communication audiovisuelle qui sont commun à tous les pays. Ces contenus sont soumis aux principes juridiques de la communication audiovisuelle.
Je voudrai ajouter que la charte des réseaux sociaux est bien différente de celle des médias. En Côte d’Ivoire nous avons une charte des réseaux sociaux qui permet de pacifier l’environnement numérique. Il s’agit des acteurs du net qui se donnent des engagements dans cette charte-là. Le non respect de ces engagements expose à des sanctions disciplinaires. Ce sont des engagements qu’ils ont pris à l’initiative des régulateurs.
DIGITAL Business Africa : Comment la HACA Côte d’Ivoire se mobilise-t-elle pour réguler les plateformes numériques ?
Me René Bourgoin : Nous avons engagé des démarches préalables au niveau de la Côte d’Ivoire. Nous avons entrepris de dialoguer directement avec des grandes entreprises des médias sociaux pour échanger sur les dispositions de notre loi. Il a été convenu d’un régime déclaratif et non pas d’autorisation pour ces plateformes afin de nous fournir (à nous régulateur) des cordonnées des personnes ressources des infractions.
Pour le signalement des contenus audiovisuels, il a été convenu de mettre en place un canal direct de signalement pour nous régulateur qui sera accessible. Avec Méta, nous avons convenu que les contenus signalés doivent être supprimés sans retard indu dans un délai de 48 heures.
Il est prévu également des redevances annuelles. Les plateformes ont souhaité que nous explorons la possibilité de prélever une taxe annuelle sur les publicités diffusées en ligne. Ces frais pourront contribuer au développement de la communication audiovisuelle.
En outre, avec Méta et Google, nous avons convenus de l’alphabétisation numériques. Avec les différents ministères en charge de l’Éducation nationale nous avons pensé restaurer la possibilité d’intégrer les modules sur l’alphabétisation numérique dans le système éducatif et enfin la formation des journalistes dans le cadre des collaborations.
DIGITAL Business Africa : Cette régulation ne limite-t-elle pas dans une certaine mesure les libertés d’expression sur les plateformes numériques ?
Me René Bourgoin : Absolument pas. Pour une raison très simple : la régulation ne peut pas limiter la liberté d’expression. Parce que le régulateur est le garant de la liberté de la communication. Nous devons garantir la liberté de la communication. Nous ne pouvons pas garantir une liberté et puis la compromettre encore.
Il ne faut pas oublier que la liberté de la communication a ses propres limites qui sont prévues par la loi. Le régulateur intervient lorsque les limites de cette liberté sont franchies. Il dira alors arrêtez vous avez franchi les limites de la communication sur la liberté d’expression.
Propos recueillis par Albert Amougou